Préface au catalogue de l’exposition à la Galerie de France, 25 février 1947

par Franck Elgar

Les peintures de Szobel ne sont pas douloureuses, elles sont mélancoliques ; elles ne sont pas sérieuses, elles sont graves. D’évidence il n’est pas un artiste français ; il est un artiste qui aime la France. Le souvenir de sa Tchécoslovaquie natale donne à ses œuvres un accent d’étrangeté, une saveur quelque peu acide qui se mêlent à la douceur et à l’harmonie inspirées par sa patrie d’adoption.

Il serait difficile de faire entrer cette peinture dans une catégorie reconnue. Ni fauve, ni cubiste, ni expressionniste, ni surréaliste, ni abstraite, elle ne résulte d’un dosage habile, d’une synthèse artificielle de moyens différents et de principes contradictoires : elle est le fruit d’une pensée intégrée et d’une fine sensibilité, d’une imagination qui se garde du monstrueux mais qui ne redoute pas le grotesque, d’une conscience d’apocalypse plutôt que d’une conscience de décadence. Elle est bien la peinture de ces temps de colère et de convulsions où, sur les ruines d’un monde épuisé et craintif, l’espérance commence d’édifier l’ordre souverain de l’âge d’or.

Aussi y voit-on moins de démons que d’archanges aux ailes gemmées, triomphalement déployées ; moins de prophètes moroses, annonciateurs d’épouvante, que d’apôtres appelant à la miséricorde et au règne final. Szobel se fait l’interprète fiévreux et confiant de cette phase d’essor, non point par le choix de sujets, mais par la recherche de rythmes et de rapports de tons, par l’invention de signes plastiques mieux appropriés à la réalité qui est en deçà et au-delà des choses. Résolus les problèmes techniques, tous les problèmes de l’homme seront évacués du même coup. Placé à un carrefour de races, de peuples, de cultures, en même temps qu’à une ligne de partage de courants et de contre-courants, il a éprouvé avec plus d’inquiétude que d’autres le besoin et la nécessité d’un art nouveau, d’un art qui sera l’interprétation abstraite de cette nature asservie à l’humanité et qu’il s’efforce hardiment et patiemment de créer à lui-seul, mais non pour lui seul.

Picasso n’eût-il pas existé, il est probable que Szobel ne dessinerait pas d’une manière aussi expressive. N’est-ce pas le devoir des vrais artistes de prendre dans leurs aînés ce qu’il y a d’authentique et d’original pour le refondre et l’enrichir de leurs propres génies ? Cependant Szobel a une préférence marquée pour le schéma, pour les structures élémentaires, pour la forme simple et naïve, pour les dessins d’enfant. Son coloris est basé sur l’accord dominant du rouge et de l’outremer, les autres teintes étant le plus souvent réservées aux détails, aux plans secondaires, petites taches phosphorescentes au sein de la nuit bleue ou de la fureur écarlate. Par des glacis superposés, il allume dans ses toiles des scintillements furtifs, des reflets irisés d’opale. La lumière qui baigne toutes ses œuvres récentes ne vient pas du soleil ; figures et objets sont comme éclairés du dedans par la flamme même de l’esprit.

Cette peinture ne prétend pas à séduire par un étalage de sensualité, ni à rassurer ceux qui subordonnent leur plaisir à la logique. Du moins a-t-elle sa logique, celle de l’artiste, du poète, du rêveur… Car le rêve a aussi ses lois.

Frank Elgar